Si aucune bouteille ne porte son nom, Dubuisson est pourtant la plus ancienne brasserie familiale de Belgique. Elle n’a pas bâti sa réputation sur son patronyme mais sur celui de ses bières, la Bush et la Cuvée des Trolls. Savoir-faire, capacité à innover et vision sur le long terme, on ne traverse pas 255 ans d’histoire par hasard…
Bûche ou Bush ?
Commençons par une question cruciale : doit-on prononcer « bouche » ou « bûche » lorsqu’on parle de la Bush ? La réponse fait débat. Si l’on se fie à l’origine de cette bière, c’est la prononciation à l’anglo-saxonne – « bouche » – qui s’impose. En effet, lorsque la brasserie Dubuisson décide de lancer une nouvelle recette, au début des années 1930, c’est du côté des bières anglaises qu’elle va chercher l’inspiration. Voilà pour la première option.
La seconde, « bûche », est employée par Alexandre Dubuisson lui-même lorsqu’il nous accueille dans la brasserie familiale. Et il sait de quoi il parle, lui qui représente la 9ème génération à œuvrer à la destinée de cette maison. Une prononciation à la française qui prend encore plus de sens lorsque l’on sait que la gamme propose une Bush… de Noël !
La plus vieille brasserie de Belgique
Derrière la Bush (prononcez comme vous voulez, vous vous ferez toujours comprendre), se cache la plus vieille brasserie de Wallonie. Et même de Belgique, si l’on tient compte du critère de la propriété : c’est en effet la même famille qui la fait vivre depuis 255 ans ! Une longévité d’autant plus étonnante que jamais, malgré les grands événements qu’elle a traversés, la brasserie n’a interrompu le brassage. Quel est donc son secret ? Lorsque l’on pose la question à Alexandre Dubuisson, actuel directeur marketing, il ne révèle pas de recette miracle mais un ensemble de valeurs transmises au fil du temps : « Chaque génération a connu ses propres difficultés mais on a toujours eu en commun la passion, la persévérance et un certain sens de l’optimisme ».
La brasserie Dubuisson est aujourd’hui toujours installée dans ses bâtiments d’origine, à Leuze-en-Hainaut, comme l’atteste l’année inscrite sur le linteau de la porte d’entrée : 1769. Une longue histoire qui en fait une référence incontournable de la bière belge.
Bush : une inspiration pour les bières anglaises
Avec un tel héritage, on pourrait imaginer que le catalogue de la brasserie est riche de dizaines de déclinaisons. Il n’en est rien, c’est même le contraire puisque seules deux familles de bières y figurent ! Et pas une seule ne porte le nom de la brasserie… « C’est vrai, mais le nom Bush, trouvé par mon arrière-grand-père, vient de là : c’est la traduction anglaise de buisson », précise Alexandre.
Face à l’arrivée de la pils (bière légère des pays de l’Est) dans les années 1930, qui demande de lourds investissements aux brasseries pour réaliser une fermentation à basse température, Alfred Dubuisson (la sixième génération) prend le parti de jouer le décalage. S’inspirant d’une autre tendance du moment, les bières anglaises, il traverse la Manche afin de trouver une levure pour sa nouvelle recette.
La Bush, née de ce mélange de savoir-faire, devient, avec ses 12°, la bière la plus forte en alcool de Belgique. Le succès, rapide, se construit grâce à des récompenses glanées au gré des concours, mais également par un moyen plus… géographique. La brasserie est en effet installée le long d’une route menant à la mer. À cette époque, le voyage tient de l’expédition et Dubuisson devient une halte incontournable, développant de fait la notoriété de la Bush.
La Cuvée des Trolls née d’une micro-brasserie
L’autre référence de la brasserie pourrait difficilement être plus éloignée de la Bush, que ce soit par son positionnement ou ses caractéristiques gustatives. C’est précisément l’objectif d’Hugues Dubuisson (la 8ème génération) lorsqu’il reprend les rênes de la brasserie. Il fallait alors diversifier une gamme monoproduit et proposer une bière moins forte en alcool. Mais la notoriété de la Bush et son association à la brasserie Dubuisson sont telles qu’elles freinent les possibilités. La Bush 7 (7° d’alcool) en a ainsi fait les frais.
« Mon père a alors l’idée de créer, dans une ville 100 % étudiante, une micro-brasserie. Il y a une vingtaine d’années, ce concept n’existait pas encore. Et il ne s’arrête pas là dans l’innovation puisqu’il va baptiser cette nouveauté Cuvée des Trolls – en clin d’œil à la vague SF portée par Harry Potter ou Le Seigneur des anneaux –, à une époque où toutes les brasseries jouent la carte des bières d’abbaye », explique Alexandre.
Sans le savoir, Hugues vient de défricher le concept de bière craft (artisanale), à la mode aujourd’hui. Et ça n’est pas la seule innovation à mettre au crédit de la brasserie. Pour le passage à l’an 2000, Hugues cherche à proposer une bière spéciale. Grand amateur de vin, il lui vient l’idée de fait mûrir la Bush dans un tonneau de bois… La Bush Prestige est une réussite et la pratique est aujourd’hui largement répandue.
Mélange entre tradition et innovation
Ce savant mélange entre tradition et innovation, c’est aussi ce qui se dégage lorsque l’on pénètre dans la brasserie. Les murs de brique peints en blanc ont un petit côté anglais et la structure du bâtiment rappelle sa vocation d’origine agricole. Les cuves d’ébullition et d’empâtage en cuivre sont toujours présentes même si, depuis 2013, elles servent uniquement lors des visites, comme témoins de l’histoire de la maison. La salle de brassage a déménagé à quelques mètres de là dans une installation à la pointe de la technologie. Cela en respectant le processus de production traditionnel. Alexandre confirme : « On se considère toujours comme une brasserie artisanale car il n’y a pas de course au rendement. Notre priorité reste la qualité des produits et leur stabilité dans le temps. On travaille principalement avec du malt français et belge et du houblon fourni par un partenaire belge ».
Avec ses cuves en inox et son bureau de contrôle bardé d’ordinateurs, la nouvelle salle de brassage n’évoque plus l’artisanat. Et pourtant : « On a modernisé les outils, pour un meilleur contrôle des différents paramètres, mais on conserve un processus traditionnel. On n’utilise pas les techniques modernes qui permettent d’augmenter les rendements comme le brassage à haute gravité et ou les cuves cylindro-coniques (ndlr : dotées d’un « cône » à leur base pour récupérer les levures) », explique Alexandre.
La modernisation de l’outil de production a également permis d’inscrire la brasserie dans les contraintes de l’époque. Un sujet cher à Alexandre : « Il ne faut pas se le cacher, lorsqu’on a une activité commerciale, on a un impact sur l’environnement. Notre but est de le minimiser tant que possible. À titre d’exemple, on est passé de 10 à 5 litres d’eau pour 1 litre de bière. Nos nouvelles installations permettent de récupérer la chaleur générée par le brassage, soit une économie de 130 000 litres de mazout par an. Parallèlement, les 2 000 m2 de panneaux solaires couvrent 10 % de nos besoins et la station d’épuration traite 1 000 m3 par jour et produit du biogaz. Et nous allons continuer nos efforts en ce sens ». Un engagement complété par un système de consignes très développé en Belgique puisque toutes les bouteilles de la brasserie (sauf les 75 cl) sont récupérées, nettoyées et réutilisées grâce une ligne d’embouteillage installée à l’intérieur même du site.
Un château historique qui devient musée
En devenant un groupe de 200 personnes (qui œuvrent à la brasserie, au musée et dans l’importante activité de distribution), la petite brasserie installée dans une ferme n’a perdu ni son âme artisanale ni sa gestion familiale. En 2017, elle a racheté le château du XVIIIe siècle en ruines situé de l’autre côté de la route, pour y installer un musée interactif, un restaurant et des salles de séminaire. C’est précisément dans les murs de ce château que travaillait le premier brasseur de la maison Dubuisson avant de s’installer dans la ferme d’en face, en 1769. La réussite de la brasserie aura ainsi permis aux descendants de racheter et de rénover le château dans lequel leur ancêtre brassait pour le compte d’un seigneur… C’est ce qu’on appelle une belle histoire.
Le saviez-vous ?
Hugues Dubuisson fait partie des premiers à avoir eu l’idée de faire vieillir de la bière dans des fûts de vin. Il en existe trois :
- La Bush Prestige : une Bush Caractère vieillie en foudre de chêne neuf.
- La Bush de Nuits : une Bush de Noël vieillie en foudre de chêne ayant contenu du Nuits-saint-georges (bourgogne rouge).
- La Bush de Charmes : une Bush triple vieillie en foudre de chêne ayant contenu du Meursault Charmes (bourgogne blanc).
3 questions à Antonin Maes, maître brasseur chez Dubuisson
1. Qu’est-ce qui caractérise, au goût, une bière Dubuisson ?
Pour la Bush, c’est sa levure qui fermente à un taux d’alcool élevé et très vite. Elle donne une note de banane caractéristique. La Cuvée des Trolls se reconnaît par la combinaison de l’équilibre et de la complexité aromatique. Ce sont aussi des bières qui sont quasiment sans épices : il n’y a que de l’eau, du malt et du houblon. Enfin, nous aimons faire des bières qui moussent généreusement.
La tradition est-elle toujours compatible avec l’innovation ?
Non, pour les bières comme la Bush Caractère, qui a plus de 90 ans et qui doit, malgré l’évolution constante des matières premières, conserver les mêmes qualités gustatives. Mais aussi oui, car Dubuisson a toujours innové en déclinant les gammes existantes ou en inventant des recettes totalement nouvelles – les bières éphémères – dans ses micro-brasseries, au nombre de trois aujourd’hui.
Qu’est ce qui a le plus changé dans le métier de brasseur ?
L’intérêt des consommateurs pour les bières spéciales. Dans les années 2000, les pils représentaient encore l’écrasante majorité de la consommation. Puis les gens ont commencé à moins boire en volume pour privilégier la qualité. Cela redonne tout son sens au métier de brasseur.