Partageur
21 juin 2024

Café Joyeux, cultiver la différence !

Café Joyeux est un café-restaurant à Nantes

Rencontre avec Yann Bucaille, concepteur avec sa femme Lydwine, d’une entreprise commerciale et solidaire qui ne ressemble à aucune autre : Café Joyeux. Déjà 23 cafés-restaurants ouverts et 1 500 demandes en attente ! La preuve qu’en faisant une vraie place aux personnes trisomiques, autistes et atteintes de troubles cognitifs, tout le monde y gagne.

Café Joyeux, c’est quoi ?

Quelle est votre définition de la joie ?

Yann Bucaille : La joie est souvent considérée comme une émotion, voire une vertu ou une manière d’être à un moment donné. Moi, je pense que c’est un cadeau, quelque chose de très profond qui vient de l’intérieur, et dont la source est pourtant extérieure, même surnaturelle. La joie, c’est aimer l’autre et se laisser aimer tel qu’on est, avec toute sa vulnérabilité. Ce n’est pas se montrer sous son plus beau jour. Elle commence quand on fait tomber les murs, quand la joie de l’autre a plus d’importance que la sienne.

Y a-t-il une rencontre, dans votre vie, qui a été déterminante ?

Y. Bucaille : Lydwine, mon épouse ! Tout le fruit que nous portons, c’est « nous », elle et moi. J’ai épousé une femme que je pensais connaître mais que j’ai vraiment découverte après. Nous avons traversé des épreuves, notamment un grave pépin de santé qui l’a touchée. Cela a déclenché une autre rencontre : celle de la personne que vous aimez le plus, mais dans une situation de fragilité extrême. Pour moi, cela a été fondateur dans tout ce que nous avons fait après.

En quoi cela a-t-il été fondateur ?

Y. Bucaille : C’est ce qui a posé les conditions de connexion pour d’autres rencontres. Mille fois – mille fois, ce n’est pas exagéré –, on fait des rencontres qui pourraient être décisives, mais on passe à côté parce qu’on n’est pas dans le moment présent. Lydwine m’a permis de croiser la route de Théo que nous avons accueilli sur le voilier de notre association Emeraude voile solidaire, avant l’aventure Café Joyeux. Ce jeune homme avec des troubles autistiques nous a demandé un travail : ça a été la clef pour la création de Café Joyeux. Je pense que je n’aurais pas saisi la portée de cette rencontre si je n’avais pas déjà été un peu labouré par la vie à deux, dans des situations de joie extrême et dans des situations difficiles. Dans les combats à deux, forcément, on change de regard sur la vie !

Avez-vous l’impression, avec Café Joyeux, de réunir deux mondes qui ne se côtoyaient pas ?

Y. Bucaille : Oui ! C’est d’ailleurs le côté novateur de ce projet, ce qui a fait sa réputation. J’ai beaucoup
voyagé, j’ai des parents qui m’ont apporté une éducation assez ouverte mais je n’ai pas de personnes en situation de handicap dans ma famille (et je ne connaissais pas ce monde). Quand nous avons commencé à emmener des personnes fragilisées sur notre voilier associatif, nous avons vu beaucoup de troubles cognitifs plus ou moins forts. Je me disais : « Mais d’où viennent ces gens ? ». J’ai appris ensuite qu’ils étaient 750 000 en France !

Comment Café Joyeux contribue-t-il à la rencontre entre ce monde et l’autre, qui se considère comme celui des « valides » ?

Y. Bucaille : D’abord en s’implantant au cœur des villes. Celui où nous faisons cette interview est situé rue Cézanne, dans un quartier d’affaires parisien. Dans les bureaux autour de nous, on fait du chiffre, on bosse sur des écrans, on optimise pour toujours plus de résultat.

Cet endroit est comme un trait d’union entre le monde de la performance, qui ne tourne plus très rond d’ailleurs, et un monde de la différence, pour ne pas dire d’une forme de vulnérabilité plus assumée. C’est vraiment un point de rencontre entre des univers trop éloignés.

Comment trouvez-vous votre équilibre financier ?

Y. Bucaille : Dans un restaurant ordinaire, il y a des ratios. En général le loyer c’est 10 % du chiffre d’affaires (CA), les coûts de la nourriture, 20 à 25 %, et la masse salariale, dans la restauration rapide où ça dépote, c’est 20 à 22 %. Nous, notre masse salariale représente plus de 50 % du CA ! Donc c’est hyper compliqué. Heureusement que nous avons la vente de notre café et de notre thé.
Il faut acheter notre café, vraiment ! (rires) Les lecteurs et lectrices de Partageur peuvent le faire en ligne, d’ailleurs, en allant sur cafejoyeux.com. C’est une aide énorme pour nous.

Quels « coups de pouce » ont rendu possible l’aventure Café Joyeux ?

Y. Bucaille : Ce projet en est arrivé là grâce à la contribution de plein de gens généreux. C’est fou, des centaines de bénévoles sont venus aider, apporter leurs compétences, leurs talents. Des patrons d’entreprise nous ont dit : « Je veux participer, dites-moi comment faire ». Comment croyez-vous qu’on ait pu ouvrir un Café Joyeux sur les Champs-Elysées ? Les loyers, sur les Champs, c’est inabordable ! C’est une femme – ce sont souvent les femmes – qui est venue me voir et qui m’a dit : « J’ai cet emplacement, je vous le prête, six mois. Est-ce que vous vous sentez capables ? Est-ce que vous allez y arriver ? » Avant que je dise oui, elle a ajouté : « Je vais vous aider, vous trouver un architecte, vous trouver un cuisiniste. On va organiser ça ». C’était en 2019. Nous y sommes toujours ! En fait, je crois que les êtres humains ont tous besoin, au fond d’eux, de se sentir utile.

Partager, transmettre, déployer : quels sont vos objectifs aujourd’hui ?

Y. Bucaille : Nous avons toujours plein de rêves… mais, concrètement, trois objectifs nous animent : montrer, par l’exemple, que ça fonctionne dans la durée ; devenir une alternative sociale de référence qui donne du sens ; à partir de ces deux premiers objectifs, nous développer en France et à l’étranger. Nous avons aujourd’hui 1 500 demandes d’ouverture de Café Joyeux ! Tiens, j’ajoute un dernier objectif : donner envie à d’autres de faire pareil dans d’autres secteurs ou dans le même… Ce qu’on fait est une goutte à côté de ce qu’il y a à faire. Je rêve qu’il y en ait beaucoup d’autres qui se lancent aussi.

Pourquoi avoir choisi une structure commerciale plutôt qu’associative pour réaliser ce projet ?

Y. Bucaille : Justement parce que le but est de montrer que nous sommes dans le monde, comme les autres. Je n’ai pas envie que les gens disent : « Oui mais oh, c’est une asso ! » Nous sommes une entreprise et nous répondons aux mêmes exigences que la concurrence. Nous payons nos impôts, nos taxes et nos charges comme tout le monde… Du coup, nous nous soumettons à la recherche de la qualité avec les mêmes contraintes ; c’est le meilleur service qu’on puisse rendre aux équipiers et équipières de Café Joyeux.

Il semble que vous ayez le projet d’installer des Café Joyeux au sein des entreprises ?

Y. Bucaille : Nous avons déjà commencé à lancer des Café Joyeux inside. Ce sont des Café Joyeux avec pignon non pas sur rue mais sur bureaux ! Ça marche hyper bien. Les équipiers et équipières ont le sentiment de faire partie de la même boîte que toutes les personnes qui viennent déjeuner. Ça change tout !

Pour vous, c’est quoi, la réussite ?

Y. Bucaille : D’avoir fait sa part. La réussite, pour moi, ce sera d’avoir contribué à rendre le monde un petit peu meilleur et plus joyeux, en faisant mon possible.

Dernière question : à qui voulez-vous dédier cette interview ?

Y. Bucaille : Aux équipes et d’abord à nos skippers encadrants managers, cuisiniers, formateurs, qui accompagnent nos équipiers en situation de handicap vers le travail, qui se lèvent chaque jour pour les faire progresser, tout en assurant le service à des centaines de convives. Café Joyeux c’est tout un équipage ultra engagé qui rend l’impossible possible.

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